De nouveaux défis de propriété intellectuelle pour l’ensemble de la filière viticole française opérant en Chine

La Chine, un marché dominé par le vin français

La Chine est un marché incontournable pour les producteurs de vins, notamment pour les producteurs de vins français.

Il importe en effet de retenir que la Chine, en 2014, est le 5ème pays consommateur de vins au monde, avec 15,8 millions d’hectolitres de vins consommés, soit 7 % du vin consommé dans le monde, ce qui place la Chine avant le Royaume-Uni (12,6 millions d’hectolitres de vins consommés) et la Russie (9,6 millions d’hectolitres de vins consommés)[1].

La Chine, en 2014, est également le 5ème pays importateur de vins au monde, avec 4,6 millions d’hectolitres de vins importés cette année, ce qui représente, en valeur, la somme de 1,145 milliard d’euros[2].

Toutefois, parmi l’ensemble des vins importés et consommés en Chine, les vins français tiennent une place à part.

En effet, la France domine toujours très largement ce marché avec 45 % de parts de marché en volume en 2014[3], ce qui fait de la France le premier pays fournisseur du marché chinois, loin devant l’Espagne, le Chili ou l’Australie.

A cet égard, les signes de ralentissement qu’a pu donner le marché chinois en 2013 et 2014 (recul de la consommation et des importations, en raison de la politique anti-corruption mise en place par le gouvernement chinois), ainsi que la concurrence des vins chiliens ou australiens, ne doivent pas cacher les enjeux qu’ont à relever les exportateurs français pour se positionner sur ce marché qui présente toujours aujourd’hui une réelle marge de progression.

En effet, entre 2005 et 2014, les exportations en valeur de vins et spiritueux français en Chine ont été multipliées par 27 en 10 ans et sur les cinq dernières années (2010-2014), la progression est de 54 %, la Chine se plaçant en outre, en 2014, au 6ème rang des destinations pour les vins français[4].

Ce leadership de la France sur le marché chinois s’explique sans doute en grande partie par le fait que la France s’est très tôt intéressée à ce marché et par la renommée mondiale de grandes marques de vins de Bordeaux ou d’indications géographiques[5] telles que « Champagne ».

L’entrée en vigueur de la « Norm on Terminology of Imported Wines » : une majorité de producteurs de vins français concernés

Dans ce cadre, les acteurs du vin français, qu’il s’agisse de sociétés viticoles vendant leurs vins en Chine sous différentes marques, de groupements de producteurs ou d’interprofessions tels que le Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC) ou le Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), devraient être fort intéressés par la toute prochaine entrée en vigueur, en Chine, de la « Norm on Terminology of Imported Wines »[6].

Il s’agit en effet d’une translittération officielle, effectuée par l’Association chinoise des importateurs et exportateurs de vins et spiritueux sous l’égide du Ministère du Commerce chinois, de marques étrangères de vins et de zones de production étrangères de vins.

La rapide expansion du marché du vin en Chine, couplée avec la diversité des pays producteurs, a pu créer une certaine confusion, notamment auprès des consommateurs chinois, en raison de la coexistence de plusieurs translittérations chinoises, parfois divergentes, relatives à telle ou telle marque de vin ou indication géographique viticole.

La « Norm on Terminology of Imported Wines » vise donc à remédier à cette situation.

Ce document contient en effet, pour les principaux pays exportateurs de vins en Chine (France, Espagne, Italie, Australie, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis d’Amérique, etc.), une traduction en chinois :

  • de termes généraux viticoles, tels que « appellation d’origine contrôlée », « château », « cépage », « cru classé », « vin blanc », « vin rouge », etc.
  • de noms de cépages, tels que « cabernet sauvignon », « merlot », « pinot gris », « pinot noir », etc.
  • de régions viticoles, telles que « Alsace », « Bordeaux », « Bourgogne », « Champagne », etc.
  • et aussi et surtout de marques viticoles et indications géographiques, dont certaines fort notoires, telles que « Château Cheval Blanc », « Château Lafite-Rothschild », « Château Mouton Rothschild », « Château d’Yquem », « Krug », « Ruinart », « Châteauneuf-du-Pape », « Champagne », « Bourgogne Hautes Côtes de Nuits », Gevrey-Chambertain », « Aloxe Corton », etc.

La « Norm on Terminology of Imported Wines » entrera en vigueur le 1er septembre 2015.

Quelles réactions envisager pour les titulaires de marques viticoles, les groupements de producteurs et les interprofessions concernés par l’entrée en vigueur de la « Norm on Terminology of Imported Wines »

Il est important de souligner que l’usage des translittérations chinoises officielles proposées par la « Norm on Terminology of Imported Wines »n’est pas obligatoire mais seulement recommandé.

La « Norm on Terminology of Imported Wines » étant désormais publiée, les titulaires de marques viticoles vont pouvoir vérifier si le ou leurs marques viticoles figurent ou pas dans la liste du Ministère du Commerce chinois.

De même, ces titulaires de marques, ainsi que les groupements de producteurs et les interprofessions chargés d’assurer la défense de telle ou telle indication géographique, vont pouvoir vérifier si la translittération officielle, proposée par le Ministère du Commerce chinois, de leurs marques viticoles et/ou de « leurs » indications géographiques, correspond ou pas à la translittération actuellement utilisée par ces opérateurs et actuellement protégée par eux à titre de marque, individuelle ou collective, ou d’indication géographique chinoise[7].

A ce titre, nous invitons les lecteurs à se reporter à la fin de cet article où nous avons reproduit, en annexe, pour plusieurs marques viticoles et indications géographiques viticoles d’origine française, la translittération officielle proposée par la « Norm on Terminology of Imported Wines ».

Les titulaires de marques viticoles, dont les marques ne figurent pas dans la liste du Ministère du Commerce chinois, n’ont pas, selon nous, à s’inquiéter.

En effet, la liste du Ministère du Commerce chinois, mise à part la translittération de très nombreuses indications géographiques, recense, en ce qui concerne les marques viticoles, essentiellement des marques bordelaises et champenoises.

Les titulaires de marques viticoles « oubliés » par la « Norm on Terminology of Imported Wines » peuvent donc, d’après nous, continuer à exploiter leurs marques chinoises telles qu’elles ont été déposées par leur soins auprès de l’Office des marques chinois.

Ces titulaires de marques viticoles pourraient toutefois envisager de saisir la Chambre de commerce chinoise des importations-exportations de produits alimentaires d’une réclamation, aux fins que la « Norm of Terminology on Imported Wines » soit complétée.

Toutefois, une telle réclamation ne sera recevable que trois ans après l’entrée en vigueur de cette « norme », soit seulement à compter du 1er septembre 2018.

Protéger sa marque viticole en Chine

Bien évidemment, si ce n’est pas déjà fait, nous ne pouvons que conseiller aux producteurs de vins français de déposer, à titre de marque chinoise, non seulement la dénomination de leur marque française ou communautaire en caractères latins, mais aussi en caractères chinois.

Cela évitera en effet que des tiers mal intentionnés déposent, avant les producteurs de vins français concernés, une ou plusieurs marques chinoises écrites en caractères chinois et correspondant à une ou à plusieurs translittérations possibles de leurs marques françaises ou communautaires.

Dans ce cadre, il importe de rappeler qu’il est primordial de déposer sa marque en Chine le plus en amont possible et avant même d’y commencer le moindre acte d’exploitation.

La situation nous semble plus compliquée pour les titulaires de marques viticoles, les groupements de producteurs et les interprofessions, dont la translittération officielle, proposée par la « Norm on Terminology of Imported Wines », de leurs marques ou indications géographiques, ne correspond pas à la translittération actuellement utilisée, en Chine, par ces acteurs du vin.

Dans cette situation, nous ne pouvons que conseiller à ces acteurs du vin de déposer rapidement, à titre de marque chinoise, cette translittération officielle, et ce afin d’éviter tout risque de « trademark squatting » de la part de tiers mal intentionnés.

En effet, il est probable que la translittération officielle, proposée par le Ministère du Commerce chinois, de telle ou telle marque viticole française, va rapidement s’imposer auprès des consommateurs, importateurs et distributeurs chinois, en raison justement de son caractère officiel et ce quand bien même l’usage de cette translittération officielle est simplement recommandé par ledit ministère.

Le dépôt, par les producteurs de vins, les groupements de producteurs et les interprofessions, à titre de marque chinoise, de la translittération officielle de leurs marques ou indications géographiques viticoles, devrait permettre également à ces acteurs du vin d’éviter un risque de confusion quant à l’origine du produit, de la part des consommateurs chinois, entre cette translittération officielle et la translittération actuellement utilisée en Chine par ces opérateurs.

Bien évidemment, un tel dépôt de marque « préventif » a un coût et dans la perspective où la « Norm on Terminology of Imported Wines » rencontrerait, à terme, un certain succès auprès du public chinois, les producteurs de vins, les groupements de producteurs et les interprofessions, devront également se poser la question de savoir s’ils n’auront pas intérêt à faire porter en priorité leurs efforts de promotion et de publicité sur la translittération officielle de leurs marques ou indications géographiques viticoles.

Ces frais de dépôt de marque devraient toutefois être bien inférieurs à ceux qu’un producteur de vin, un groupement de producteurs et ou une interprofession pourraient avoir à supporter s’ils devaient engager une action en justice devant les tribunaux chinois aux fins de tenter de revendiquer la propriété de la marque chinoise, correspondant à la translittération officielle de leur marque ou indication géographique viticole, qu’un tiers de mauvaise foi aurait déposée avant eux.

Pire encore, sans un tel dépôt de marque préventif, les producteurs de vins, les groupements de producteurs et les interprofessions concernés pourraient être attaqués en contrefaçon, en Chine, par ce tiers de mauvaise foi et être empêchés d’utiliser, sur le territoire chinois, la translittération officielle de leur marque ou indication géographique viticole.

Les producteurs de vins, les groupements de producteurs et les interprofessions concernés par la « Norm on Terminology of Imported Wines » devraient également réfléchir, avec l’aide de leurs avocats ou conseils en marques, à déposer à titre de marque la translittération officielle de leur marque ou indication géographique viticole  non seulement en Chine continentale, mais aussi dans d’autres « territoires » de culture et langue chinoise, comme Hong Kong, Macao et Taiwan.

Les producteurs de vins, qui exploitent en Chine une marque composée pour partie d’un terme distinctif, comme un patronyme par exemple, et pour autre partie d’une indication géographique ayant fait l’objet d’une translittération officielle, comme « Champagne Krug » ou « Champagne Laurent Perrier », devraient également réfléchir à déposer, à titre de marque chinoise, l’ensemble « nom + translittération officielle de l’indication géographique ».

La réclamation, un dispositif pour le moment inefficace

A titre d’alternative au dépôt de marque précédemment conseillé, les titulaires de marques viticoles, les groupements de producteurs et les interprofessions, dont la translittération officielle, proposée par la « Norm on Terminology of Imported Wines », de leurs marques ou indications géographiques, ne correspond pas à la translittération actuellement utilisée par eux en Chine, pourraient envisager de saisir la Chambre de commerce chinoise des importations-exportations de produits alimentaires d’une réclamation.

Toutefois, une telle réclamation, visant notamment à modifier ou à compléter le nom chinois recommandé par la « Norm of Terminology on Imported Wines » pour qu’il corresponde à la translittération actuellement utilisée par le titulaire de marque viticole, le groupement de producteurs ou l’interprofession, ne sera possible que trois ans après l’entrée en vigueur de cette « norme », soit seulement à compter du 1er septembre 2018.

Outre que la réglementation peut changer d’ici là, cette longue période d’attente ne permet pas de répondre aux préoccupations immédiates des acteurs du monde viticole. Cela ne semble donc pas être la meilleure solution.

Conclusion

Même si la prochaine entrée en vigueur de la « Norm on Terminology of Imported Wines », à compter du 1er septembre 2015, devrait permettre d’obtenir, à terme, une unité et cohérence de traduction pour les vins importés, ce qui devrait être bénéfique pour l’ensemble du secteur, il n’en est pas moins vrai que cette « norme » risque d’obliger les titulaires de marques viticoles, les groupements de producteurs et les interprofessions à se protéger de façon préventive pour éviter des dépôts de marque frauduleux.

Dans ce cadre, nous ne pouvons que conseiller à ces acteurs du vin de se rapprocher de leurs avocats ou conseils en marques français et chinois pour connaître le détail de cette « norme » et établir une stratégie adaptée de protection de leurs droits de propriété intellectuelle.

 

Vignoble Bdx

vignoble bourgogne

Vignoble champagne

vignoble cotes du rhone

[1] Voir à ce sujet le rapport suivant de l’Organisation Internationale du Vin, qui a été rendu public le 27 avril 2015 : « Conjoncture vitivinicole mondiale 2014 » : http://www.oiv.int/oiv/info/fr_conjoncture_viticole_mondiale_OIV_avril_2015?lang=fr

[2] Voir note de bas n° 1.

[3] Voir https://www.decanterchina.com/en/?article=1009 et http://www.vignevin-sudouest.com/publications/voyage-etude/vignobles-chinois-marche-vin-chine.php

[4] Voir la « Synthèse Vin » de juillet 2014 de FranceAgriMer : http://www.franceagrimer.fr/content/download/32765/295461/file/SYN-VIN-2014-Importations-etrangeres-bilan2013-A13.pdf

Voir également l’Etude intitulée « les exportations françaises de vins et spiritueux Bilan 2014 Perspectives 2015 » publiée le 11 février 2015 par la Fédération des exportateurs de vins & spiritueux de France : http://www.maisons-champagne.com/orga_prof/statistiques/pdf/resultats_globaux_2014.pdf

[5] Sauf exception, on utilisera ci-après et par commodité le terme général « indication géographique » pour désigner les appellations d’origine contrôlées définies à l’article L. 115-1 du Code de la consommation et les appellations d’origine et les indications géographiques protégées en vertu du droit de l’Union européenne (AOP et IGP pour le vin).

[6] Norme sur la terminologie des vins importés.

[7] Ainsi, à titre d’exemple, l’indication géographique « Champagne » est une des rares indications géographiques d’origine française à être protégées et enregistrées en Chine en tant qu’indication géographique chinoise. C’est aussi le cas des indications géographiques « Cognac » et « Napa Valley ». Voir notamment : http://www.champagne.fr/fr/presse/communiques/defense-appellation-champagne/reconnaissance-chine-indication-geographique-champagne