Les entreprises françaises exportatrices peuvent-elles s’affranchir des règles sur les délais de paiement ?

Suite à la réforme instaurée par la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2001, la réglementation française prévoit, à l’article L. 441-6 I 9e alinéa du Code de commerce, un plafonnement des délais de paiement à 45 jours fin de mois ou 60 jours nets date d’émission de la facture.

Dans ce cadre, une réponse ministérielle en date du 30 juillet 2013 traite de la proposition du Comité Bretagne des Conseillers du commerce extérieur de la France ayant appelé à exempter les exportations françaises des règles d’ordre public relatives aux délais de paiement, ces délais de paiement étant un des éléments de compétitivité de l’offre pour les clients étrangers des entreprises françaises.

Le Gouvernement a répondu de façon négative à cette proposition.

Selon le Gouvernement, un des difficultés à laquelle se heurtent les entreprises exportatrices françaises lorsqu’elles placent leurs contrats de vente internationaux sous l’empire du droit français, réside dans l’obligation qui leur est faite d’exiger de leurs clients des délais de paiement contraignants, alors que leurs concurrentes étrangères, dont le droit national est plus libéral, peuvent consentir des délais longs à leurs clients.

A ce titre, l’examen des termes du contrat de vente liant une société de négoce française et un fournisseur ou un client étranger est un préalable à la détermination de la loi applicable. Le négoce international de marchandises est encadré juridiquement par les contrats de vente internationaux de marchandises (CVIM), élaborés par la commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et adoptés par une conférence diplomatique le 11 avril 1980. Cette convention s’applique aux contrats de vente de marchandises conclus par des parties ayant leur établissement dans des États différents signataires de cette convention.

Sauf exclusion par les parties, les dispositions de cette convention s’appliquent par défaut aux contrats internationaux et se substituent aux règles du droit interne national.

Or l’article 59 de cette convention, constituant les règles relatives aux délais de paiement, renvoie à l’application des dispositions contractuelles et ne fixe aucun délai maximum de paiement.

Les parties peuvent toutefois expressément exclure l’application de cette convention et décider d’appliquer le droit interne national de l’une ou l’autre des parties, qu’elle soit française ou étrangère. Lorsque les parties soumettent leur contrat au droit français, seule la désignation du droit interne, par exemple à la suite d’un renvoi explicite aux dispositions du code civil ou du code de commerce, permet d’exclure l’application de la CVIM.

Si les parties ont désigné une loi étrangère comme loi applicable à leur contrat, les dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement, en tant que règle impérative ou de police, peuvent néanmoins s’appliquer dans certains cas, notamment en cas d’abus manifeste ayant été à l’origine d’un préjudice en France et pouvant donner lieu à une action contentieuse à l’initiative du ministre.

L’application par défaut des règles de droit de la CVIM ou des droits internes étrangers moins contraignants que le droit français permet donc d’ores et déjà aux négociants français d’octroyer à leurs clients étrangers des délais de paiement similaires à ceux proposés par leurs concurrents internationaux.

D’après le Gouvernement, l’exemption souhaitée par le comité Bretagne des conseillers du commerce extérieur de la France porterait sur tout type de contrat de vente entre deux entreprises françaises, dès lors que la finalité de l’opération serait l’exportation des marchandises par l’acheteur (directe ou indirecte). Le champ de cette dérogation serait donc potentiellement très étendu. Une telle réforme favorable aux entreprises exportatrices se ferait donc au détriment des fournisseurs français dont les délais de paiement clients s’allongeraient. Cette exemption engendrerait donc un décalage de trésorerie au détriment des fournisseurs industriels français (eux-mêmes potentiellement soumis à des délais fournisseurs plafonnés), dont la santé financière est déjà fragilisée par le contexte économique actuel.

Le Gouvernement, dans sa réponse ministérielle, a également noté que l’avantage concurrentiel dont bénéficient certaines entreprises européennes par rapport aux entreprises françaises est atténué depuis le 16 mars 2013. En effet, la directive n° 2011/7/UE du 16 février 2011 relative à la lutte contre les retards de paiement dans les relations commerciales devant être intégralement transposée à cette date, limite en principe les délais de paiement à 60 jours civils en Europe.

Or 68,7 % des exportations françaises ont pour destination un pays européen (source INSEE, « exportations et importations de biens de la France dans le monde en 2011 »).

En outre, d’après le Gouvernement, un nouveau dispositif d’exemption sectorielle mettrait en cause les principes de la réforme instaurée par la loi de modernisation de l’économie (LME).

Une dérogation telle que celle proposée par le comité Bretagne engendrerait également, selon le Gouvernement, une complexité contractuelle importante et une possible réorientation de l’activité vers les professionnels non bénéficiaires de dérogations. En effet, les très petites entreprises/petites et moyennes entreprises (TPE/PME) exportatrices ou qui ont une activité de négoce international pourraient stipuler dans leurs contrats avec leurs fournisseurs français un délai de paiement supérieur au plafond légal, dès lors qu’elles ont une activité de négoce international.

Il importe également de noter qu’à la question de savoir si les nouvelles dispositions relatives aux délais de paiement s’imposent aux contrats internationaux, la DGCCRF a répondu dès 2009 par l’affirmative en soulignant que la jurisprudence française avait reconnu le caractère d’ordre public à l’article L 442-6 du code de commerce, qui prévoit la sanction civile du dépassement des délais légaux de paiement.

La DGCCRF, qui intervient au nom de l’ordre public économique, a ainsi indiqué qu’elle veillera à ce que des créanciers français ne se voient pas imposer des délais de paiement anormalement longs par leurs débiteurs, en particulier ceux qui utiliseraient des centrales de paiement à l’étranger dans le seul but d’échapper aux dispositions nationales.

En outre, la DGCCRF veillera à ce que les débiteurs établis en France règlent leurs créanciers résidant à l’étranger sans entraîner de distorsion de concurrence vis à vis d’opérateurs résidant en France.

Enfin, il importe de noter que le projet de loi relatif à la consommation, qui a déjà été adopté par l’Assemblée Nationale le 3 juillet 2013 et modifié par le Sénat le 13 septembre 2013, a prévu de renforcer les sanctions à l’encontre des personnes ne respectant pas les délais de paiement fixés par la loi.

En effet, ce projet de loi prévoit de compléter l’article L. 441-6 du Code de commerce par un VI ainsi rédigé :

« VI. – Est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième et onzième alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d’exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa du même I. L’amende est prononcée dans les conditions prévues à l’article L. 465-2. Le montant de l’amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. »