En 2019, plusieurs textes législatifs et réglementaires ont été promulgués ou adoptés qui viennent réformer en profondeur le droit français de la propriété industrielle : la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi dite PACTE), promulguée le 23 mai 2019, et l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services (ci-après l’Ordonnance), ainsi que son décret d’application, le décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019.
La loi PACTE comprend 221 articles et prévoit l’entrée en vigueur progressive de différentes mesures relatives à la propriété industrielle visant à accroître la robustesse et la sécurité juridique des titres français. Elle renforce la place et le rôle de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) au sein de l’écosystème de la propriété intellectuelle.
L’Ordonnance et son décret d’application, quant à eux, visent à transposer la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques et à assurer la compatibilité de la législation française, notamment du Code de la propriété intellectuelle, avec le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne.
Ces deux textes communautaires (la directive et le règlement précités), désignés sous l’appellation de « Paquet Marques », invitent à une harmonisation maximale entre les législations des États membres, d’une part, et entre ces législations et le système de la marque de l’Union européenne administré par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), d’autre part.
1. Les principales mesures concernant les brevets
1.1. Création d’une procédure d’opposition en matière de brevet devant l’INPI : cette procédure permettra à la fois de renforcer la sécurité juridique des brevets délivrés et de simplifier, pour les tiers, la procédure pouvant conduire à leur annulation.
En effet, il sera bientôt possible pour des tiers d’obtenir devant l’INPI, et donc par voie administrative, la révocation d’un brevet français pour une invention dépourvue de nouveauté et/ou d’activité inventive, alors que jusqu’à présent, seule la voie judiciaire permet d’annuler un brevet.
La loi PACTE habilite le Gouvernement à créer ce droit d’opposition par ordonnance dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la loi, soit avant le 22 février 2020. Par la suite, le Gouvernement devra déposer un projet de loi de ratification dans le délai de six mois à compter de la publication de ladite ordonnance.
1.2. Renforcement de la procédure d’examen des demandes de brevets : complémentaire à la procédure d’opposition, cette mesure vise à renforcer l’examen de fond des demandes de brevets par l’INPI et à améliorer la confiance dans le système français des brevets. Avant la promulgation de la loi PACTE, bien que l’activité inventive était et reste une des conditions de brevetabilité, elle n’était pas prise en compte dans le cadre de la procédure de délivrance des brevets. Ainsi, une demande de brevet français présentant un défaut d’activité inventive était quand même délivrée. Un tel brevet était présumé valable et pour en obtenir la nullité, un tiers devait agir en nullité devant le tribunal de grande instance de Paris (à titre principal ou reconventionnel).
La loi PACTE étend l’examen de la brevetabilité à l’activité inventive, ce qui constitue un changement très important. Ce nouvel examen de l’activité inventive sera applicable aux demandes de brevet déposées à compter du 23 mai 2020.
1.3. Allongement du certificat d’utilité de 6 à 10 ans et possibilité de transformer une demande de certificat d’utilité en demande de brevet. Cette mesure entrera en vigueur le 23 mai 2020 au plus tard.
2 – Les principales mesures concernant les marques
Les mesures d’application de l’Ordonnance ont été publiées le 10 décembre 2019 au Journal Officiel (décret n° 2019-1316 et arrêté du 9 décembre 2019 relatif aux redevances de procédures de l’Institut national de la propriété industrielle). Les mesures sont entrées en vigueur le 11 décembre 2019, sauf pour la procédure d’annulation et de déchéance qui entrera en vigueur le 1er avril 2020.
Ces textes de transposition en droit français du « Paquet Marques » ont pour objectif de moderniser et de rendre plus performant le dispositif français de protection des marques.
Les principales mesures adoptées en matière de marques sont les suivantes :
2.1. la possibilité de se protéger pour une seule classe de produits et services pour un tarif moindre qu’auparavant (190 euros au lieu de 210 euros), afin d’inciter les déposants à ne viser que les classes réellement pertinentes pour leur activité.
2.2. la possibilité de déposer de nouveaux types de marques, répondant aux évolutions techniques et économiques, à savoir la protection d’une marque sonore, animée ou multimédia par le dépôt d’un fichier MP3 ou MP4 , sans être obligé de représenter graphiquement le signe constituant la marque.
2.3. l’adaptation du système des marques collectives pour encourager son utilisation.
2.4. le renforcement de la procédure d’opposition pour une meilleure adéquation avec la vie des affaires grâce à de nouveaux droits opposables.
Jusqu’à présent réservée aux titulaires de marques antérieures ou aux bénéficiaires d’un droit exclusif d’exploitation, aux collectivités territoriales et aux personnes habilitées à défendre des indications géographiques, une opposition peut désormais être engagée sur le fondement d’une dénomination sociale, d’un nom commercial, d’une enseigne, d’un nom de domaine ou du nom d’une entité publique. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), bénéficiaires du droit d’alerte en cas de dépôt d’une demande de marque contenant leur dénomination, peuvent dorénavant former une opposition sur le fondement d’une atteinte à leur nom, à leur image ou à leur renommée. Une opposition peut également être engagée par le titulaire d’une marque protégée dans un État membre de l’Union de Paris et dont l’enregistrement a été indûment demandé en France par son agent ou son représentant. Ainsi, parmi les droits antérieurs, tous ceux constituant des signes distinctifs peuvent désormais être invoqués dans le cadre d’une procédure d’opposition, comme c’est le cas devant l’EUIPO en matière de marque de l’UE.
Par ailleurs, depuis le 11 décembre 2019, la procédure d’opposition peut être engagée sur le fondement d’un ou plusieurs droits antérieurs, sous réserve de leur appartenance au même titulaire, réduisant en conséquence le coût global de la procédure. En effet, jusqu’à présent, le titulaire de plusieurs antériorités (notamment, le titulaire de plusieurs marques antérieures) ne pouvait les invoquer dans le cadre d’une même opposition. Il devait former autant d’oppositions qu’il souhaitait opposer de droits antérieurs.
2.5. la création d’une procédure administrative de nullité et de déchéance devant l’INPI pour réduire les coûts et les délais de telles actions. Cette procédure entrera en vigueur le 1er avril 2020. Alors que dans l’ancien système, les demandes en nullité et en déchéance de marque ne pouvaient être formées que par la voie judiciaire, il sera prochainement possible de former une demande en nullité ou en déchéance à titre principal devant l’INPI. Cette nouvelle procédure administrative devrait permettre de dé-judiciariser une partie de ce contentieux et devrait aussi faciliter la libération des marques non exploitées pour permettre à d’autres acteurs économiques de les utiliser.
A ce titre, il importe de noter que toute personne pourra former, devant l’INPI, une demande en nullité fondée sur un motif absolu. L’examen d’une telle demande ne sera soumis devant l’INPI à aucune condition préalable d’intérêt à agir.
2.6. le renforcement de la lutte contre la contrefaçon par le rétablissement des contrôles douaniers sur les marchandises en transit externe et par la sanction des actes préparatoires à la contrefaçon.
Les Douanes peuvent désormais réaliser des retenues sur des marchandises en transit soupçonnées de contrefaçon, sans qu’il soit nécessaire que le titulaire de la marque prouve qu’elles sont destinées à un État où leur commercialisation est interdite. En outre, il est désormais possible de sanctionner les actes préparatoires à la contrefaçon, notamment l’apposition d’un signe identique ou similaire à la marque sur des conditionnements, des étiquettes ou plus généralement sur tout autre support sur lequel la marque peut être apposée.
2.7. le renforcement de la sécurité juridique des exploitants lorsque les droits de marques ont été acquis légitimement, en prévoyant qu’une action en nullité ou en contrefaçon ne peut pas prospérer si, au moment du dépôt de la demande de marque postérieure, la marque antérieure n’était pas opposable (par exemple, parce qu’elle n’était pas exploitée ou qu’elle était elle-même susceptible d’être annulée). Une personne qui commence l’exploitation d’une marque en toute légalité (par exemple parce qu’une marque antérieure existe mais est susceptible de déchéance faute d’exploitation depuis plus de cinq ans) ne peut plus être sanctionnée par la suite (par exemple lorsque la marque antérieure commence à être exploitée après le dépôt de la demande de marque postérieure).
3. Tableau comparatif des anciennes et nouvelles taxes dues à l’INPI
4. De nouvelles règles en matière de prescription pour les brevets, les marques et les dessins ou modèles
La Loi PACTE et l’Ordonnance contiennent également des dispositions importantes en matière de prescription.
4.1. Tout d’abord, la loi PACTE précise que les actions en nullité de brevets, de marques et de dessins ou modèles sont désormais imprescriptibles.
Cette disposition législative met fin à une jurisprudence controversée qui avait soumis l’action en nullité de ces titres de propriété industrielle à la prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil, qui fait courir à l’action du demandeur en nullité un délai de cinq ans à compter du moment où il a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son action.
Cette jurisprudence avait créé une importante insécurité juridique en raison du caractère fluctuant du point de départ du délai quinquennal. Ainsi, par exemple, dans le cas d’un brevet européen, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 29 octobre 2019, a jugé que le texte du brevet litigieux ayant été modifié à l’occasion d’une procédure d’opposition, le point de départ du délai était la date de publication de la version modifiée du brevet. En effet, ce n’est qu’à cette date que le demandeur en nullité a pu prendre connaissance de la version stabilisée du brevet et l’appréhender de manière utile.
Cette insécurité juridique devrait disparaître avec la promulgation de la loi PACTE puisque l’imprescriptibilité des actions en annulation instaurée par cette loi permet aux personnes souhaitant obtenir la nullité d’un brevet, d’une marque ou d’un dessin ou modèle d’agir sans condition de délais.
Il existe toutefois, en matière de marques, deux tempéraments à cette règle nouvelle de l’imprescriptibilité.
Premièrement, l’action ou la demande en nullité introduite par le titulaire d’une marque notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle se prescrit par cinq ans à compter de la date d’enregistrement, à moins que ce dernier n’ait été demandé de mauvaise foi.
Deuxièmement, le titulaire d’un droit antérieur qui a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage d’une marque postérieure enregistrée en connaissance de cet usage n’est plus recevable à demander la nullité de la marque postérieure, pour les produits ou les services pour lesquels l’usage de la marque a été toléré, à moins que l’enregistrement de celle-ci ait été demandé de mauvaise foi. C’est ce que l’on appelle la forclusion par tolérance.
En ce qui concerne l’application dans le temps de cette nouvelle règle d’imprescriptibilité, elle ne devrait pas avoir d’effet sur les décisions de justice ayant acquis force de chose jugée avant l’entrée en vigueur de la loi PACTE, c’est-à-dire les décisions qui ne sont susceptibles d’aucun recours suspensif d’exécution (comme un arrêt de cour d’appel, par exemple).
Par contre, cette règle devrait s’appliquer, sans doute y compris rétroactivement, aux actions en nullité visant les titres en vigueur au jour de la publication de la loi PACTE. Ainsi si, avant cette date, un jugement du tribunal de grande instance de Paris a jugé prescrite une action en nullité d’un brevet français, cela ne devrait pas empêcher le demandeur, débouté en première instance, d’invoquer l’imprescriptibilité (nouvelle) de son action en nullité devant les juges d’appel.
Il reviendra toutefois à la Cour de cassation de déterminer si la règle nouvelle de l’imprescriptibilité des actions en nullité est d’application rétroactive ou pas.
4.2. La loi PACTE et l’Ordonnance sont aussi venues modifier le point de départ du délai de prescription des actions civiles en contrefaçon des titres de propriété industrielle.
Ces textes prévoient désormais que les actions civiles en contrefaçon de brevets, de marques et de dessins ou modèles se prescrivent par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître ledernier fait lui permettant de l’exercer ».
Ainsi, seul « le dernier fait » fait désormais courir le délai de prescription, qui devient un délai unique là où auparavant, la jurisprudence avait jugé que la contrefaçon était un délit continu, chaque usage qualifié d’illicite constituant un acte distinct. Formulée autrement, l’action en contrefaçon pouvait être jugée prescrite pour certains actes et pas pour d’autres, chaque acte allégué contrefaisant faisant courir son propre délai.
Avec cette nouvelle formulation législative, il ne devrait donc plus y avoir de cas où des faits allégués de contrefaçon pourraient être jugés prescrits. Ceci devrait permettre aux titulaires de brevets, marques et/ou dessins ou modèles de faire remonter plus loin dans le temps les sanctions, notamment financières, des faits illicites, même si au bout d’un certain délai, il est toujours plus difficile de prouver des faits anciens de contrefaçon.
Là aussi, les modalités d’application dans le temps de cette règle portant modification du point de départ du délai de prescription devront être précisées par la jurisprudence.