De quelques impacts du Brexit en matière de marques de l’Union européenne et de dessins et modèles communautaires

1.

Une entreprise située en dehors de l’Espace Economique Européen (EEE), comme une société américaine, chinoise ou japonaise, n’a pas besoin d’un représentant, comme un avocat français, par exemple, pour déposer une demande de marque de l’UE ou une demande de dessin et modèle communautaire : elle peut le faire personnellement, soit en déposant directement une demande devant l’EUIPO, soit en ayant recours, sur la base d’une marque ou d’un dessin et modèle américain, chinois ou japonais préexistant, aux systèmes de Madrid (pour les marques) ou de la Haye (pour les modèles), ces deux systèmes / traités étant administrés par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).

Par contre, cette entreprise américaine, chinoise, japonaise, etc., dès lors qu’elle est située hors de l’Espace Economique Européen (EEE), sera dans l’obligation de désigner un représentant, domicilié au sein de l’EEE, notamment :

  • si l’examinateur de l’EUIPO, en charge de l’examen de la demande de marque de l’UE ou de la demande de dessin et modèle communautaire, émet une objection à l’enregistrement, comme, par exemple, un refus d’enregistrement de la demande de marque de l’UE pour cause d’absence de caractère distinctif du signe couvert par la demande de marque ;
  • si un titulaire d’une marque antérieure (qu’il s’agisse d’une marque de l’UE ou d’une marque nationale d’un des 27 Etats membres de l’UE) forme, devant l’EUIPO, une opposition à l’enregistrement de la demande de marque de l’UE déposée par cette société étrangère ;
  • si un titulaire d’une marque antérieure (qu’il s’agisse d’une marque de l’UE ou d’une marque nationale d’un des 27 Etats membres de l’UE) forme, devant l’EUIPO, une action en annulation ou en déchéance à l’encontre de la marque de l’UE de cette société étrangère, une fois cette marque enregistrée ;
  • si cette société étrangère, une fois sa marque de l’UE enregistrée, souhaite former opposition, devant l’EUIPO, à l’enregistrement d’une demande de marque de l’UE déposée postérieurement ;
  • si cette société étrangère, une fois sa marque de l’UE enregistrée, souhaite former, devant l’EUIPO, une action en annulation ou en déchéance à l’encontre d’une marque de l’UE enregistrée postérieurement à la sienne ;
  • si cette société étrangère, une fois son dessin et modèle communautaire enregistré, souhaite former, devant l’EUIPO, une action en annulation à l’encontre d’un dessin et modèle communautaire enregistré postérieurement au sien.

L’EEE couvre les 27 Etats membres de l’UE ainsi que l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.

2.

Pour pouvoir être désigné comme représentant devant l’EUIPO, il faut être :

  • soit avocat (article 120, paragraphe 1, point a), du RMUE et article 78, paragraphe 1, point a), du RDC) ;
  • soit mandataire agréé [article 120, paragraphe 1, point b), du RMUE et article 78, paragraphe 1, point b), du RDC].

Un avocat est un professionnel qui est automatiquement et sans autre reconnaissance officielle autorisé à représenter des tiers devant l’EUIPO pour autant qu’il remplisse les trois conditions suivantes :

  • il doit être habilité à exercer sur le territoire d’un des États membres de l’EEE;
  • il doit avoir son domicile professionnel dans l’EEE;
  • il doit être habilité, dans l’État membre où il est agréé, à agir en qualité de mandataire en matière de marques ou de dessins et modèles.

Pour les avocats, le domicile professionnel doit être situé dans l’EEE. Une adresse de boîte postale ou une adresse de domicile élu ne constituent pas un domicile professionnel. Ce domicile peut ne pas être le seul lieu d’exercice du représentant. De plus, le domicile professionnel peut se trouver dans un État membre de l’EEE autre que celui dans lequel l’avocat est inscrit au barreau. Toutefois, les avocats qui ont leur seul et unique domicile professionnel en dehors de l’EEE ne sont pas habilités à représenter des tiers devant l’EUIPO, même s’ils sont autorisés à exercer dans l’un des États membres de l’EEE. 

Le second groupe de personnes habilitées à représenter professionnellement des tiers devant l’EUIPO est constitué de celles dont le nom figure sur l’une des deux listes de représentants professionnels tenues par l’EUIPO, à savoir :

  • la liste des mandataires agréés auprès de l’EUIPO conformément à l’article 120, paragraphe 1, point b), du RMUE et à l’article 78, paragraphe 1, point b), du RDC (pour les questions liées aux marques et aux dessins ou modèles);
  • la liste des mandataires agréés conformément à l’article 78, paragraphe 1, point c), du RDC (pour les questions liées aux dessins ou modèles).

Pour figurer sur la liste, trois conditions doivent être remplies :

  • le représentant doit être un ressortissant de l’un des États membres de l’EEE ;
  • il doit avoir son domicile professionnel dans l’EEE;
  • il doit être habilité en vertu de la législation nationale à représenter, en matière de marques ou de dessins et modèles, des tiers devant le service central de la propriété industrielle; à cet effet, il doit fournir une attestation délivrée par le service central de la propriété industrielle d’un État membre de l’EEE. 

3.

Le retrait du Royaume-Uni de l’UE, en lien avec le Brexit, va avoir des impacts très importants en matière de marques de l’UE et de dessins et modèles communautaires.

Conformément à l’accord de retrait conclu fin 2019 entre l’UE et le Royaume-Uni, le Royaume-Uni a quitté l’UE le 1er février 2020 : il est donc, depuis cette date, un Etat tiers à l’UE.

L’accord sur le retrait stipule cependant que durant une période de transition qui s’étendra jusqu’au 31 décembre 2020, la législation de l’UE restera applicable au Royaume-Uni et sur son territoire. Cette disposition s’applique aux règlements communautaires relatifs à la marque de l’UE et aux dessins et modèles communautaires ainsi qu’à leurs instruments d’exécution.

La poursuite de l’application de ces règlements durant la période de transition concerne en particulier toutes les dispositions de fond et procédurales, ainsi que les règles concernant la représentation dans les procédures devant l’EUIPO. Par conséquent, toutes les procédures devant l’EUIPO reposant sur des motifs de refus en relation avec le territoire du Royaume-Uni, des droits antérieurs acquis au Royaume-Uni, ou des parties/représentants domiciliés au Royaume-Uni, se dérouleront comme jusqu’à présent jusqu’au terme de la période de transition.

En exécution de cet accord de retrait, un avocat anglais qui est actuellement en train de représenter une société américaine, chinoise ou japonaise devant l’EUIPO, dans le cadre, par exemple, d’une opposition, pourra continuer d’assurer la représentation de son client devant l’EUIPO jusqu’à la fin de cette procédure administrative, et ce même dans le cas où cette procédure d’opposition était toujours pendante après le 1er janvier 2021.

4.

Il est, par contre, très important de noter que dans le cadre des négociations en cours entre l’UE et le Royaume-Uni en vue d’aboutir à un accord commercial entre ces deux entités, accord qui pourrait entrer en vigueur le 1er janvier 2021 au terme de la période de transition, il n’est absolument pas prévu que les avocats et mandataires agréés britanniques pourront continuer, après le 1er janvier 2021, d’être désignés comme représentants devant l’EUIPO.

La proposition de l’Union européenne pour un accord avec le Royaume-Uni est publique : https://ec.europa.eu/info/publications/draft-text-agreement-new-partnership-united-kingdom_fr  

Vous pourrez constater, à sa lecture, qu’elle ne contient pas de dispositions relatives à la représentation des parties devant l’EUIPO.

De même, suite à la question suivante, posée le 8 juin 2020 par un parlementaire britannique au « UK Department for Business, Energy and Industrial Strategy », voici ce que ce Ministère a officiellement répondu en date du 16 juin 2020 :

Intellectual Property: UK Relations with EU:Written question – 56005 

Asked by Neil Coyle

(Bermondsey and Old Southwark)

Asked on: 08 June 2020

Department for Business, Energy and Industrial Strategy Intellectual Property: UK Relations with EU

56005

To ask the Secretary of State for Business, Energy and Industrial Strategy, whether he plans to restrict European Economic Area address for service rules at the Intellectual Property Office in the event that there are no reciprocal rights of representation before the EU Intellectual Property Office at the end of the transition period; and if he will make a statement.”

Answered by: Amanda Solloway

Answered on: 16 June 2020 

The Government is aware that this is an important issue for stake holders, in particular UK-based patent and trade mark attorneys.

Rights of representation before EU institutions and courts are the preserve of the Single Market and so do not form part of the UK Approach to negotiations with the EU.

This means that UK representatives will no longer have the right to represent before the EUIPO at the end of the Transition Period. This is without prejudice to the Withdrawal Agreement (WA) which ensures that UK legal representatives can continue to represent their clients before the EUIPO in procedures that are ongoing at the end of the transition period.

Officials at the Intellectual Property Office and the Ministry of Justice are having ongoing conversations with stakeholders on representation rights and address for service once the transition period ends.”

https://www.parliament.uk/business/publications/written-questions-answers-statements/written-question/Commons/2020-06-08/56005/

5.

Il résulte donc de ce qui précède qu’une société américaine, par exemple (ou toute autre société située hors de l’EEE) ne pourra plus, à compter du 1er janvier 2021, faire appel aux services d’un avocat ou d’un mandataire agréé britannique (dont les bureaux seraient uniquement situés au Royaume-Uni) pour la représenter devant l’EUIPO, en lien avec l’une quelconque des procédures ou actions ci-dessus détaillées à la Section 1 des présentes.

Au contraire, cette société située hors de l’EEE devra recourir aux services d’un avocat ou d’un mandataire agréé ayant son domicile professionnel dans l’EEE, comme un avocat français, allemand, italien, etc.

Ainsi, par exemple, si une société chinoise déposait, le 2 janvier 2021, une demande de marque de l’UE et que le titulaire d’une marque antérieure de l’UE formait, peu de temps après la publication de cette demande de marque, une opposition devant l’EUIPO, cette société chinoise NE POURRA PAS faire appel aux services d’un avocat anglais (dont les bureaux seraient uniquement situés au Royaume-Uni) pour la représenter devant l’EUIPO. Elle devra faire appel aux services d’un avocat domicilié dans l’EEE, comme un avocat français, allemand, italien, etc.

Cette société située en dehors de l’EEE devra également faire appel aux services d’un avocat domicilié dans l’EEE, comme un avocat français, allemand ou italien :

  • pour engager ou défendre à une action en annulation ou en déchéance formée, après le 1er janvier 2021, devant l’EUIPO ;
  • pour engager ou défendre à un recours formé devant une des Chambres de Recours de l’EUIPO, à l’encontre d’une décision de l’EUIPO rendue dans le cadre d’une procédure engagée après le 1er janvier 2021 ;
  • pour engager ou défendre à un recours, formé après le 1er janvier 2021 devant le Tribunal de l’UE, à l’encontre d’une décision d’une des Chambres de Recours de l’EUIPO, et ce que cette décision soit liée à une procédure actuellement pendante ou à une procédure engagée après le 1er janvier 2021 ;
  • et pour engager ou défendre à un pourvoi, formé après le 1er janvier 2021, devant la Cour de Justice de l’UE, à l’encontre d’un arrêt du Tribunal de l’UE (rendu suite à une décision d’une des Chambres de Recours de l’EUIPO), et ce quelle que soit la date de prononcé de cet arrêt.

6.

Au vu de ce qui précède, il est vivement conseillé aux sociétés, situées en dehors de l’EEE, et qui ont actuellement recours aux services d’un avocat ou d’un mandataire agréé britannique, de vérifier si celui-ci possède des bureaux, avec une réelle présence physique, dans un des Etats de l’EEE.

Si tel n’était pas le cas, ces sociétés ne devraient alors pas avoir d’autre choix que de sélectionner, d’ici au 31 décembre 2020, un nouveau représentant répondant aux conditions de qualification et de domiciliation fixées par la réglementation communautaire.