La Chambre Commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt fort intéressant le 25 novembre 2014 en matière d’appellations d’origine contrôlée.
Dans cette affaire, tout a commencé par la commercialisation, courant 2009, par la société Euralis Gastronomie et sa filiale, la société Champion, de différents produits en y associant le nom de Champagne, tels que « pintade au Champagne », « gigolette d’oie au Champagne », « foie gras de canard aux deux poivres et au Champagne », ce dernier produit étant présenté sous un emballage qui reproduisait une flûte de Champagne jouxtant des tranches de foie gras.
Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), considérant que l’emploi de l’appellation “Champagne” avait pour but de détourner sa notoriété, a assigné en justice, par acte du 4 février 2011, la société Euralis Gastronomie et sa filiale, sur le fondement, notamment, de l’article L. 643-1 alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime, aux fins d’interdiction, de destruction, de publication et de condamnation à des dommages-intérêts.
A ce titre, on rappelle que l’article L. 643-1 alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime dispose que « le nom qui constitue l’appellation d’origine ou toute autre mention l’évoquant ne peuvent être employés pour aucun produit similaire, sans préjudice des dispositions législatives et réglementaires en vigueur le 6 juillet 1990. Ils ne peuvent être employés pour aucun établissement et aucun autre produit ou service, lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d’affaiblir la notoriété de l’appellation. »
Aux termes d’une jurisprudence constante et ancienne, cet article a pour objet d’interdire l’utilisation du nom constituant une appellation d’origine, soit pour désigner des produits similaires à ceux couverts par celle-ci, soit pour désigner des produits différents, lorsque, dans ce dernier cas, cette utilisation est susceptible de détourner ou d’affaiblir la notoriété de l’appellation.
La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 mars 2013, a donné raison au CIVC et a dit qu’en utilisant une dénomination insérant l’appellation d’origine contrôlée « Champagne » pour commercialiser les produits ci-dessus énumérés, la société Euralis Gastronomie a créé un risque de détournement de la notoriété ainsi qu’un risque d’affaiblissement de la notoriété de cette appellation au sens de l’article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime.
La société Euralis Gastronomie a en conséquence été condamnée à verser 30 000 euros de dommages-intérêts au CIVC en réparation du préjudice subi.
La société Euralis Gastronomie a alors formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt d’appel mais son pourvoi a été rejeté par l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 25 novembre 2014. L’arrêt du 15 mars 2013 doit donc, désormais, être considéré comme définitif, ce qui constitue une importante victoire pour le CIVC et pour la défense de l’appellation d’origine contrôlée « Champagne ».
Cet arrêt renforce la protection de cette appellation puisque le CIVC peut s’opposer, sous certaines conditions, à l’utilisation, par un tiers, du nom “Champagne” pour des produits différents du champagne mais dans la composition desquels entre pourtant du vin bénéficiant de cette appellation d’origine.
Plus précisément, la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel de Paris avait exactement retenu que les dispositions de l’article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime étaient applicables au litige dès lors que le nom de “Champagne” avait été utilisé dans la dénomination du foie gras de canard, de la pintade et de la gigolette d’oie, qui constituent des produits différents du vin bénéficiant de l’appellation contrôlée dans la composition desquels celui-ci entrait.
La Cour de cassation et la cour d’appel de Paris ont également jugé que contrairement à ce que tentait de soutenir la société Euralis Gastronomie, ce litige ne portait pas sur l’utilisation traditionnelle du vin de Champagne dans des préparations culinaires ni sur l’information du consommateur relativement au contenu proprement dit du produit, mais sur la dénomination de vente du produit et l’introduction, dans cette dénomination, d’une appellation d’origine contrôlée qui est soumise à une législation spéciale protectrice.
En effet, le champagne n’entrait que pour 2 % dans la composition du foie gras litigieux commercialisé par la société Euralis Gastronomie et d’après une étude gustative et comparative réalisée auprès du public et produite par le CIVC, l’aromatisation au vin de Champagne n’était perçue que par 17 % des consommateurs interrogés. Au surplus, parmi ces 17 % de consommateurs, 72 % considéraient cette aromatisation comme « vraiment pas ou peu intense ».
Aussi, après avoir relevé que les publicités critiquées évoquaient la finesse du Champagne et que sur les emballages des produits en cause, l’appellation d’origine figurait en lettres anglaises élégantes tandis que les autres mentions étaient en lettres majuscules droites, la cour d’appel en a déduit à bon droit, selon la Cour de cassation, qu’en commercialisant des produits dans la dénomination desquels entre le terme notoire « Champagne » ou en s’y référant sur des emballages ou publicités, la société Euralis Gastronomie a cherché à bénéficier de la valeur économique et de l’attractivité de l’appellation d’origine “Champagne”.
La cour d’appel de Paris, suivie sur ce point par la Cour de cassation, a également jugé que la diffusion qui peut être faite de l’appellation d’origine associée à un produit, serait-il un produit noble comme le foie gras, par une société qui le commercialise et en assure la promotion à une échelle et selon des modalités qui échappent au contrôle des opérateurs concernés, risque nécessairement d’entraîner un affaiblissement de la notoriété de l’appellation et une banalisation du terme.
La société Euralis Gastronomie s’est donc bien rendue responsable d’un risque de détournement et d’affaiblissement de la notoriété de l’appellation « Champagne ».
Le CIVC, pour faire condamner la société Euralis Gastronomie, aurait d’ailleurs pu peut-être s’appuyer, non seulement sur l’article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime, mais aussi sur les Lignes Directrices, publiées par la Commission européenne le 16 décembre 2010, sur l’étiquetage des denrées alimentaires utilisant des appellations d’origine protégées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) comme ingrédients (JOUE n° C 341, 16 décembre 2010).
En effet, dans ces lignes directrices, la Commission considère qu’une dénomination enregistrée en tant qu’AOP ou IGP pourrait être mentionnée au sein ou à proximité de la dénomination de vente d’une denrée alimentaire incorporant des produits bénéficiant de la dénomination enregistrée, ainsi que dans l’étiquetage, la présentation et la publicité de cette denrée alimentaire, dès lors que cet ingrédient est utilisé en quantité suffisante pour conférer une caractéristique essentielle à la denrée alimentaire concernée et que le pourcentage d’incorporation de l’ingrédient bénéficiant de l’AOP ou de l’IGP est indiqué au sein ou à proximité immédiate de la dénomination de vente.
Il semble que ces deux conditions n’étaient pas réunies par les produits litigieux commercialisés par la société Euralis Gastronomie.
En tout état de cause, en raison de la notoriété incontestable de l’appellation « Champagne », notoriété qui est défendue énergiquement par le CIVC depuis de très nombreuses années, il existe un risque pour les opérateurs économiques, notamment ceux de la grande distribution, de mentionner l’utilisation de ce vin d’appellation d’origine comme ingrédient d’une préparation culinaire, et ce même si l’objectif affiché par ces opérateurs économiques serait d’informer exactement le consommateur sur la composition et les qualités d’un produit alimentaire, en application de la réglementation applicable.
Il importe d’ailleurs de noter que depuis la promulgation de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, l’article L. 115-16 du Code de la consommation a été complété par un alinéa 7 qui dispose : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 37 500 euros le fait de mentionner sur un produit la présence dans sa composition d’un autre produit bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée lorsque cette mention détourne ou affaiblit la réputation de l’appellation concernée ».
Suite à la promulgation de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », les peines correctionnelles édictées par cet article L. 115-16 7° du Code de la consommation ont même été aggravées puisque portées à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
Dans le litige ayant opposé la société Euralis Gastronomie au CIVC, ce dernier n’a pas fait usage de cet article L. 115-16 7° du Code de la consommation, qui était pourtant applicable aux faits de l’espèce, puisque l’assignation du CIVC portait juste sur la violation alléguée de l’article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime.
On notera toutefois qu’à l’occasion du pourvoi en cassation formé contre l’arrêt rendu le 15 mars 2013 par la cour d’appel de paris, la société Euralis Gastronomie a, par mémoire spécial, demandé à la Cour de cassation de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « l’article L. 115-16 7° du code de la consommation porte-t-il atteinte au principe de légalité des délits et des peines tel que garanti par les articles 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et 34 de la Constitution ? »
La Cour de cassation a dit qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel après avoir jugé qu’elle ne présentait pas un caractère sérieux dès lors que la définition du délit, au regard tant de la nature de la mention incriminée que du fait que cette dernière détourne ou affaiblit la réputation d’une appellation d’origine, est rédigée en termes suffisamment clairs et précis pour permettre l’interprétation de la disposition contestée et sa sanction sans risque d’arbitraire.
On relèvera également que même en présence d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique bénéficiant d’une notoriété moindre que le « Champagne », il existe un risque pour les opérateurs économiques de mentionner, sans autorisation, l’utilisation d’un produit bénéficiant d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique, comme ingrédient d’une préparation culinaire.
En effet, ces opérateurs pourraient être condamnés dans ce cas pour violation de l’article L. 115-16 7° du Code de la consommation, ou de l’article L. 115-16 5° du même code qui sanctionne le fait de faire croire ou tenter de faire croire qu’un produit bénéficie d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique définie à article L. 721-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Des responsables de la société Mc Donald’s France services ont sur ce fondement été condamnés, par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 5 avril 2011, pour avoir vendu des sandwiches « Mac Cheese sauce au reblochon » et « Mac Cheese sauce à la tomme de Savoie fondue » dont le mode de présentation était de nature à faire croire, faussement, que le fromage entrant dans la composition de ces produits bénéficiait des appellations contrôlées « reblochon » ou « tomme de Savoie », et ce alors qu’il n’était pas contesté que la sauce incorporée à chaque sandwich comportait une proportion de chaque fromage de 8, 5 % à 6 % conforme aux usages culinaires.
Cet arrêt Euralis Gastronomie / CIVC de la Cour de cassation permet de souligner qu’une fois de plus, la protection des appellations d’origine est plus large que la protection conférée aux marques, et même aux marques de renommée.
En effet, dans cet arrêt, la demanderesse au pourvoi avait tenté de soutenir, mais en vain, que lorsqu’un opérateur économique utilise un produit couvert par une appellation d’origine dans une préparation culinaire, dans des conditions conformes aux usages commerciaux du secteur, il ne peut, en principe, et sauf circonstances particulières, lui être reproché de créer un risque de détournement ou d’affaiblissement de la notoriété de cette appellation en employant, dans la dénomination de vente de cette préparation culinaire, le nom constituant l’appellation d’origine, à titre descriptif, pour indiquer la présence du produit exactement désigné par celle-ci.
A contrario, en matière de marques, on rappellera que l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine » (l’article 6 de la Directive sur les marques et l’article 12 du Règlement sur la marque communautaire comportent des dispositions équivalentes).
L’objectif de cette exception dite de référence nécessaire, qui n’existe pas en matière d’appellations d’origine, est de protéger la liberté du commerce et de l’industrie en permettant aux tiers de renseigner le consommateur sur des produits ayant un rapport avec des produits de marque, en empêchant notamment le titulaire de se constituer un monopole perpétuel de fabrication et de vente sur des produits sans marque mais simplement adaptables à son matériel.
A ce titre, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), dans son fameux arrêt « Gillette » du 17 mars 2005, a pu juger que l’usage de la marque par un tiers qui n’en est pas le titulaire est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit commercialisé par ce tiers lorsqu’un tel usage constitue en pratique le seul moyen pour fournir au public une information compréhensible et complète sur cette destination afin de préserver le système de concurrence non faussé sur le marché de ce produit.
L’usage de la marque par ce tiers doit toutefois être fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, ce qui constitue l’expression d’une obligation de loyauté à l’égard des intérêts légitimes du titulaire de la marque.
A cet égard, l’usage de la marque n’est pas conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale lorsqu’il affecte la valeur de la marque en tirant indûment profit de son caractère distinctif ou de sa renommée.
Il importe enfin de relever que dans cet arrêt « Gillette », la juridiction de renvoi avait aussi interrogé la CJUE sur le point de savoir si l’impossibilité pour le titulaire de la marque d’interdire à un tiers l’usage de celle‑ci, prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la Directive 89/104 sur les marques, trouvait à s’appliquer dans le cas où ce tiers commercialisait non seulement une pièce détachée ou un accessoire, mais aussi le produit même avec lequel l’utilisation de la pièce détachée ou de l’accessoire est prévue.
La CJUE a répondu à cette question qu’aucune disposition de ladite directive n’exclut que, dans un tel cas, un tiers puisse se prévaloir de cet article 6. Plus précisément, pour la CJUE, dans le cas où un tiers, utilisant une marque dont il n’est pas le titulaire, commercialise non seulement une pièce détachée ou un accessoire, mais aussi le produit même avec lequel l’utilisation de la pièce détachée ou de l’accessoire est prévue, un tel usage entre dans le champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 pour autant qu’il soit nécessaire pour indiquer la destination du produit commercialisé par celui-ci et qu’il soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.